La responsabilité des soignants sur les choix médicaux effectués en situation d’urgence sanitaire

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La responsabilité des soignants sur les choix médicaux effectués en situation d’urgence sanitaire

Dans le contexte actuel de crise sanitaire liée au coronavirus, les soignants se trouvent plus que jamais amenés à prendre des décisions médicales et à opérer des choix engageant leur responsabilité, qu’il s’agisse par exemple de la prescription de traitement n’ayant pas fait l’objet d’essais cliniques ou encore d’effectuer un « tri » de patients atteints ou suspectés de COVID 19 pour être admis en réanimation.

Il doit cependant être rappelé qu’avant même la pandémie actuelle, les médecins ont toujours eu, au quotidien, à prendre des décisions et à faire des choix médicaux, en évaluant préalablement la balance bénéfices/risques, en s’assurant de délivrer des soins dévoués, consciencieux et fondés sur les données acquises de la science et sans faire de discrimination entre les patients, conformément notamment aux dispositions des articles R.4127-7, R.4127-8 et R.4127-32, R.4127-39 du Code de la santé publique, sous peine d’engager leur responsabilité.

Cette situation n’est donc pas nouvelle, même si elle a pris une autre dimension dans l’opinion publique par la médiatisation opérée depuis la crise sanitaire actuelle.

Ainsi, par exemple, concernant le débat médiatique politico-scientifique sur l’administration d’un traitement insuffisamment éprouvé, faute d’essai clinique préalable et par conséquent d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’indication du coronavirus, force est de constater que chaque jour, des médecins sont amenés à proposer des traitements hors AMM.

S’il n’est pas en effet interdit à un médecin de prescrire hors AMM, en revanche, certaines conditions doivent être remplies pour ne pas engager sa responsabilité, comme le prévoit l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique.

Toutefois, comme le rappelle l’article R.4127-13 du Code de la santé publique, le médecin qui participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire « ne doit faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public ». Quant à l’article R.4127-39 du même code, il interdit au médecin de proposer « comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé ».

Quant au « tri » des malades atteints de coronavirus, les médias ont relayé l’information selon laquelle certains patients fragilisés par l’âge, la maladie (comorbidités) ou même le poids n’ont pu accéder à des soins en réanimation, au contraire de patients souvent plus jeunes et présentant de meilleures chances de récupération. Ce « tri » qui a suscité de vives réactions de l’opinion publique, ne relève cependant pas davantage d’une pratique nouvelle, bien qu’elle soit plus prégnante avec l’état d’urgence sanitaire.

Si aucune discrimination dans l’accès aux soins ne peut être opérée par les médecins, il n’est pas rare par exemple que certains patients soient récusés et d’autres admis pour une même intervention, selon leur état de santé antérieur.

Ce choix médical – notion plus heureuse que celle de « tri » – ne peut résulter de l’arbitraire mais d’une analyse préalable des avantages et des inconvénients (balance bénéfices/risques) et d’une information du patient (ou de sa famille) par les médecins.

Cela étant, à l’heure actuelle, cette priorisation des patients et les décisions y afférentes suscitent pour les soignants de véritables dilemmes et par la même rendent leurs choix encore plus complexes du fait notamment :

  • des tensions dans les structures hospitalières publiques (restrictions budgétaires, fermetures de lits, insuffisance du nombre de personnels soignants) avec une rareté des ressources (lits de réanimation, ventilation,…) qui se sont montrées d’ailleurs, pour certains établissements, insuffisantes au moment des pics de la maladie,
  • des incertitudes liées à la maladie jusqu’alors inconnue et des craintes bien légitimes en découlant,
  • aux risques de contaminations des soignants eux-mêmes,…

La première de ces réalités a été rappelée par le Comité consultatif national d’Ethique (CCNE) dans une contribution du 13 mars 2020 sur les « enjeux éthiques face à une pandémie ».

Dans cette contribution, le CCNE précisait que « lorsque des biens de santé ne peuvent être mis à la disposition de tous du fait de leur rareté, l’équité qui réclame une conduite ajustée aux besoins du sujet se trouve concurrencée par la justice au sens social qui exige l’établissement des priorités, parfois dans de mauvaises conditions et avec des critères toujours contestables : la nécessité d’un « tri » des patients pose alors un questionnement éthique majeur de justice distributive, en l’occurrence pouvant se traduire par un traitement différencié des patients infectés par le COVID-19 et ceux porteurs d’autres pathologies », pour conclure que « ces choix devront toujours être expliqués et respecter les principes de dignité de la personne et d’équité. Il conviendra aussi d’être vigilant à la continuité de la prise en charge des autres patients ».

Le CCNE proposait ainsi notamment la mise en place d’une « cellule éthique de soutien » permettant d’accompagner les professionnels de santé.

Au-delà de ces cellules, pour ne pas tomber dans l’arbitraire, les médecins ont tout intérêt à protocoliser leurs décisions et dans la mesure du possible, à avoir recours à une procédure collégiale, comme celle prévue par l’article R.4127-37 du Code de la santé publique.

Il n’est cependant pas exclu que, malgré ces mesures, la responsabilité des médecins et/ou des établissements de santé sera ultérieurement recherchée par les patients ou leur famille, étant toutefois précisé que les juges, pour statuer, devront naturellement tenir compte du contexte de l’état d’urgence sanitaire dans lequel ces décisions ont été prises et/ou ces choix effectués.

Danièle GANEM-CHABENET, Avocat au Barreau de Paris.

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